Le spectacle de la société

Petit, j’étais la suspecte attraction de ma famille lorsque, à Noël, je fondais en larmes à la vue des cadeaux sous le sapin, rattrapé que j’étais par l’irréfragable présence au monde de la misère, des miséreux et de leur dénuement. Un demi siècle et plus, j’ai gardé pour moi cette disposition native, plus par pudeur que par timidité, sachant que mon antipathie pour les « riches », fondée plutôt sur leur inauthenticité que sur la détention d’un patrimoine ou de signes monétaires, ne disparaîtrait pas. Toutes ces années, entre indifférence et irritation (croissante), j’ai cru être assourdi par les rodomontades, les tartarinades des amis de l’homme et des persécutés, belles consciences éprises de plein air et d’interventions étatiques, peu enclines en tout cas à y être de leur poche ou à sacrifier leur confort, surtout celui du conformisme du troupeau de l’élite. Cependant, j’ai toujours pressenti que je rencontrerais un jour une souffrance insigne qui serait à portée de ma main et que ce jour-là je ne barguignerais pas. Cette peu ragoûtante occurrence m’est advenu : il y a un an, en effet, l’enfant fut là, sur le bord du chemin, en assez sale état par la grâce d’une république qui n’est, en l’espèce, qu’une salope. J’ai pris la main de l’enfant ; je n’en dirai pas plus et suis radicalement indifférent à ce qu’on en peut penser ou dire. Pour la paix de mon âme irascible, je souhaite seulement ajouter ceci : ce que j’ai vu de plus effrayant, de plus vil, en matière de compassion orchestrée, institutionnelle, cette forme la plus rampante de mépris altruiste, c’est une salle pleine à craquer de bourgeois progressistes chenus qui avaient distrait quelques précieux instants (habituellement consacrés aux randonnées et voyages lointains) de leur emploi du temps, des bourgeois, donc, applaudir à tout rompre une famille de roms qui n’avait pas tout dit de ses véritables activités, présentes et passées, je les ai vus vanter le courage du malheureux, et même sa joie, dire leur respect et leur admiration dans des termes où l’hypocrisie le disputait savamment à la bonne conscience. Dans le secret de mon cœur, j’aurais voulu voir ce spectacle, aussi dégradant pour le pauvre que pour le prétendu bon samaritain, être couronné ainsi : qu’un christ ressuscité vienne soudain botter d’importance les culs chenus progressistes !

Une réflexion sur “Le spectacle de la société”

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