J’ai eu cinquante ans. Je ne laisserai personne dire que c’est un âge qui compte dans une vie. Seul mérite de cette borne, si l’on veut, vingt-deux ans plus tard, quand on se remémore un dîner de quatorze convives (sept couples), extorqué par quelque malicieux demi-ami, il vous est loisible de… compter les morts ! Comme de juste, sur la liste des quatre disparus, figurent les trois amis les plus chers. Un coup radical, irréparable, de la faucheuse ! Mais puisqu’ils y tiennent, lorsque le jour supposé fatidique advient pour quelque nouvel élu, ils savent concocter une nouvelle façon, au goût du jour, de marquer le coup. Une fête ! Comme si le destin se souciait de célébrer les crues du demi-siècle ! Je doute que les fêtards sachent qu’ils sont mortels. Quant à être des vivants, piètres ou non, je ne crois pas qu’ils s’en préoccupent, occupés qu’ils sont à tourner sans fin la clé de leur désir dans la serrure insatiable de sa satisfaction immédiate…
P.S. Philippe Jaccottet, admirable prosateur de À travers un verger, se lamentait d’être un piètre vivant, alors qu’il tâchait à peindre la beauté indicible des fleurs des fruitiers dans l’air diaphane du printemps. C’est qu’il voyait bien la distance entre la coupe du regard et les lèvres du poème.