De haute lutte, sou par sou, j’ai pu me rendre acquéreur de cent millièmes d’un hôtel particulier sis au beau milieu de cette artère la plus authentiquement bourgeoise. C’est bien simple, Henri Beyle, qui avait le sens du mot idoine comme des comparaisons dégraissées, la qualifiait de Faubourg Saint-Germain de cette cité arrogante et creuse dont il a dit aussi, suffisamment, ce qu’il faut en penser. Cette rue, bien vieille aujourd’hui mais jadis appelée Neuve, aux façades austères, peu racoleuses, je l’ai beaucoup aimée, sans doute en proportion inverse de sa valeur mobilière. La récente partition en ghettos de la géographie française lui a conféré un surcroît de lustre proprement contraire à mes goûts. Ne nichent, dans cette rue qui n’en peut mais, que fonctionnaires de l’enseignement supérieur, de la recherche, ingénieurs, avocats, commerçants nantis, médecins, etc. Mais je me fous bien de la sociologie – quand ses effets ne sont pas délétères. Nos édiles, qui joignent en tout temps l’incompétence à la jactance, n’ont rien trouvé de mieux que d’ouvrir, précisément à cet endroit, un centre d’accueil pour migrants (comme ils disent). Je n’ai pas grand-chose contre, ce pourrait être un retour à la bigarrure sociale antérieure, d’avant les ghettos. Seule la vénalité de l’investisseur qui a loué le local aux édiles insouciants (ils ne paient pas) me dérange. Il faut cependant ajouter ceci au sort des venelles les plus huppées, ce qu’on appelle le centre ancien : c’est ici que des malins ouvrent bars et restaurants pour la progéniture de la population aisée. Résultat : au matin, avant que les paresseux employés municipaux ne viennent faire semblant de travailler, il n’est pas rare qu’on puisse contempler, ici ou là, de jolies fleurs de vomi, marques d’un plaisir excessif. J’espère qu’on me comprendra : quand les fils de familles d’officiers salissent le pont de leurs vomissures, quand les passagers clandestins sont parqués contre la coque – on peut craindre, sinon espérer, que la mutinerie soit proche.