Variations sur le trépas

La conscience de ma destination, c’est un douloureux événement et une souffrance désormais trop fréquente. Cela non par crainte de la mort ou timidité en la voyant venir : je lui ai été présenté en même temps qu’au monde.

On peut dire de tout homme qu’il se savait malade.

Il ne fait pas bon se mettre à l’écoute de ses propres organes : le cliquetis des rouages dentelés manifeste qu’une heure est indiquée qui, quelque jour, sera la dernière.

Si nous étions toujours conscients de la logique de l’organisme qui nous contient, enveloppe, il faudrait à chaque réveil tirer goulûment sur une cigarette et avaler d’un trait un verre d’eau de vie.

C’est en étreignant ce par quoi autrui est mortel que nous nous délivrons pour un instant du sentiment de caducité inscrit dans notre propre chair.

Ramuz tenant son petit-fils dans ses bras, lequel s’accroche aux revers de sa veste : dessin d’Auberjonois  qui pourrait figurer l’homme et la mort. Ramuz, la tête un peu penchée et détournée, on le dirait partant doucement à la renverse et se retenant à l’enfant. Dans son regard qu’on ne voit pas parce que les paupières le laissent à peine filtrer, on jurerait qu’il y a de la tendresse et des larmes. « Tu montes, et moi je descends. » Dans toute vie nouvelle, il y a le temps en marche et, avec lui, la mort qui marche sur toi.

Pourquoi, face à vous comme face aux autres, un jour est-il venu où je me suis cru invincible ? Parce que j’ai une ennemie à la hauteur de laquelle personne ne peut être et que je connais déjà l’issue du combat que tôt ou tard elle me livrera.

On va d’autant plus loin dans l’ordre de la connaissance que la peur est plus ancrée. Ainsi les grands penseurs sont-ils, peut-être, les grands amants en fuite de la mort.

Le paradis perdu s’étend tout le long de notre route ; c’est noter une mauvaise adresse que de le situer dans un temps écoulé. Il est plutôt dans un temps simultané qui se vaporise – celui où disparaissent les occasions manquées, les gestes congelés en paroles de ruse, de vengeance, de ressentiment.

J’aime en elle ce souci des missives qu’il faut vite porter, parce que la mort est sur les talons du destinataire et sur les nôtres aussi bien.

Le mourant : le ministre du culte lui propose des conditions spéciales et extrêmement avantageuses. Pour sûr ! Il est le seul à qui on ne doive pas faire l’article.

Je me sens mûr pour faire preuve de magnanimité conjugale à l’égard du monde. Ce qu’ils feront après moi ne suscite aucune envie de ma part.

L’angoisse ne s’écoule plus par mon ventre : me voilà en panne, aux prises avec des emmurés qui hurlent et se jettent contre les murs.

Injonction à moi-même : « Nul n’a jamais poussé un cri si perçant qu’il en soit revenu. »

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