Je prends mes repas, depuis plus de vingt ans, dans une gargote dont le plumage (ses dehors) est dissuasif tandis que son ramage (sa cuisine) est princier (digne d’un prince de Sicile). Croyant fermement que le plaisir ne se prête pas au lyrisme, n’étant d’ailleurs pas critique gastronomique (la chère, le vin et les mots, pour moi quel mariage hideux… et creux), je laisse au regard, aux mimiques, aux postures d’aise, le soin de supplanter mille phrases. Retour à l’accessoire : j’entends par plumage, celui d’une gargote, non seulement l’aspect de l’établissement mais aussi la dégaine, au sens large, de sa clientèle. Or, il se trouve que le lieu favori de mon estomac – plutôt de mes papilles, de ma bouche – est prisé également par une engeance qui se situe aux antipodes de ce que je goûte en matière de relations humaines. Comme champignons après la pluie, se rassemble là tout ce que le monde associatif, subventionné, compte de beaux esprits stipendiés. Comme j’ai la faiblesse d’entendre sans écouter, il semble que le vocable assoce’ revienne souvent, comme si un paysan madré baptisait sa vache à lait vachal’. Inutile d’ajouter que le mot subvention éclot sur leurs lèvres avides aussi souvent que le mot poudre sur les lèvres de ceux qui en ont besoin – et que je respecte incomparablement plus. Cependant, partager avec son pire ennemi un goût, des saveurs (ceux de la gargote), lui reconnaître quelque qualité, le créditer d’un argument de valeur, c’est emprunter la seule voie, quelque difficile qu’elle puisse être, qui aboutisse à la concorde civile. Si seulement je pouvais attendre une pareille indulgence de la part du camp d’en face !
Magnifique billet!! Je connais la gargote en question, je partage à la virgule près l’analyse qui en est faite. Mais j’aurais été bien incapable d’élaborer une formulation aussi somptueuse.