Pour la belle dame qui tire le sang d’une veine, cette rêverie qui a au moins deux printemps. N’y manque que les bruyères des crêtes vosgiennes – mais il s’agit d’autres saisons…
Au rebours de la plupart de nos vies, le mois d’avril se termine en apothéose. Selon un pur arbitraire, je fais ouvrir la marche de ce temps par l’arbre de Judée dont la fleur rose pourpre vif semble surgir du bois des branches et du tronc ; la splendeur, voltigeante quoiqu’immobile, des innombrables fleurs de fruitiers l’environne, images mêmes de l’éphémère, de ce qui passe devant nos yeux sans que nous ayons le courage ou la force de le retenir. C’est le temps des lilas, des pervenches, pareillement blancs ou bleus, des iris pallida que j’aime tant, longues paysannes sans hanches aux lisses tabliers vert cru et aux chevelures violacées, panachées d’une mince flamme jaune ; le temps des jonquilles, les vraies (pas les opulentes des jardins) avec leurs minces corolles resserrées, belles comme des offrandes discrètes, de ces jonquilles que l’écolier vosgien cueillait, par dizaines de bouquets, pour habiller les chars de la fête du même nom. Le coquelicot me serre le cœur, si simple de structure, si pauvre, si fragile et si beau dans son éclatant contraste avec les prés si verts. Et que dire de son passage si rapide, plus inconstant qu’une vie ? Je ne vois que la fleur de pissenlit, la pâquerette, la primevère ou le coucou pour faire moins emprunté, plus peuple. Mais viennent maintenant, pour fermer la marche, les reines suivies de leurs traînes profuses, les vieilles glycines qui agrippent de leurs bras noueux les vieux murs. Dans leur vie on ne peut plus brève, je veux dire leur brève floraison, ce sont d’immenses congères, des accumulations de neige violacée arrêtées à quelques pas du sol dans une distillation, un concentré d’odeur et de couleur. Puis c’est leur déroute, leur gris vieillissement, métaphore, s’il en était besoin, de notre passage à tous.