L’homme de notre temps mange du patrimoine une fois l’an avec la nonchalance d’autres espèces qui, par exemple, mangent de l’herbe. Au moins ces dernières ont-elles l’excuse sublime d’en avoir un besoin quotidien, de se livrer à leur manducation dans une intimité aérée et chaque individu pour son propre compte. Les vaches montrent par leur rumination – au moins symboliquement – la voie de la véritable érudition.
« Contemple le troupeau qui passe devant toi en broutant. Il ne sait pas ce qu’était hier ni ce qu’est aujourd’hui : il court de-ci de-là, mange, se repose et se remet à courir, et ainsi du matin au soir, jour pour jour, quel que soit son plaisir ou son déplaisir. Attaché au piquet du moment il n’en témoigne ni mélancolie ni ennui. L’homme s’attriste de voir pareille chose, parce qu’il se rengorge devant la bête et qu’il est pourtant jaloux du bonheur de celle-ci. »
Friedrich Nietzsche Considérations inactuelles