Le morceau de viande : une histoire de notre temps

J’avais pris l’habitude de penser à cette dame comme à mon morceau de viande. Par suite, je la nommais ainsi devant  ceux que j’estime assez pour en faire des intimes. Mais ces derniers ne sont jamais dépourvus de domesticité ou de visites. Ainsi je fus confronté parfois à quelque auditeur adventice muni d’oreilles pas si fines et d’un cerveau à l’avenant. Je dus préciser plus d’une fois que la dénonimation désinvolte par moi appliquée à cette dame ne pouvait qu’exprimer un franc mépris pour moi-même, pauvre animal mu par son appétit, et non pour la dame, en aucun cas. La dame en question était aussi bête et méchante qu’elle était accorte, pimpante, plutôt épargnée par le passage des ans. Elle était conquise par ce qu’elle estimait mon bel état de conservation et, ambition presque comique de sa part, elle disait apprécier la puissance de mon esprit. Je dois à la plus stricte honnêteté de dire que nous nous entendions, entre les draps et avec un fond de chaîne de télévision d’info en continu, comme cochons en bauge ! Cette histoire fera se souvenir, aux quelques amateurs de littérature (en voie de disparition), des brûlants ébats charnels de Paul Léautaud, bon écrivain, avec celle qu’il appelle le Fléau ou garce malfaisante parce que sa malignité ne pouvait faire obstacle au caractère aphrodisiaque de ses appas dodus et de ses mœurs libertines ; c’était l’épouse d’un ami proche, cocu consentant, généreux de son bien et très aimé par l’amant crapoteux. Je crois dur comme fer que la méchanceté de l’objet patent du désir est le meilleur antidote contre le trop fameux sentiment de culpabilité. Un peu de pudeur maintenant, il faut tirer le rideau. Alors comprenne qui voudra ou le pourra.

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