À la cantonade

Dans les derniers jours de sa vie, Henri Calet, auteur devenu majeur depuis la glaciation littéraire, a consigné cette phrase dans son journal : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. » Il est patent qu’il n’allait pas bien. Il n’y a rien de plus beau, sans doute, que la prose qui fait fi du public et ne vise, littéralement, personne. La phrase de Calet a perdu sa fraîcheur pathétique par l’utilisation récurrente qu’en ont fait nombre d’idiots inutiles, d’emprunteurs à la petite semaine, pressés d’exhausser leur inexistence en tripotant la langue d’autrui de leurs mains grasses et malhabiles. Repensant à cela, l’idée m’est venue d’envoyer ce télégramme mental à tous ceux, hédonistes très occupés de mon entourage, qui me regardent assister, impuissant malgré mes contorsions, au supplice d’un innocent qui emplit mes yeux de larmes : « Ne me bousculez pas, je suis plein de hargne. » Quels qu’ils soient, ces témoins insensibles et lassés, feraient bien de prendre mon avertissement au sérieux. Mes poings fermés sont à leur disposition – et ce n’est pas un engagement à la légère !

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