Nous devons (je dois) à Jean-François Louette, professeur à la Sorbonne, subtil critique littéraire, une analyse de la nonchalance dont je n’ai pas encore tiré tout le bénéfice. La disponibilité de tels produits est suffisamment rare dans les magasins de ce temps pour qu’un hommage s’impose. M. Louette distingue trois tonalités de la nonchalance selon la vitesse de l’affection – l’affect – qu’elles supposent. On rappelle que, étymologiquement, la nonchalance est le fait de ne pas se laisser affecter. Mais ne pas être affecté est encore une façon de l’être. Peu me chaut (verbe chaloir), dit-on : peu m’importe ; cela ne me touche pas. En fouillant dans les malles du temps (les origines de la langue), on trouve à la racine latine du verbe (calere, littéralement « être chaud ») une notion de chaleur. N’avons-nous pas tous entendu : « cela ne me fait ni chaud ni froid » ? Trois types de nonchalance donc, la lente qui est la négligence, la vive qu’on appellera insolence, la tempérée, vive et lente à la fois, qu’on définira comme la désinvolture. On ne peut avoir connu le chagrin à l’occasion du commerce humain (amour ou amitié) sans penser profondément à ces trois catégories selon la dialectique douloureuse de l’avant, du pendant et de l’après, du début et de la fin. Je n’en ai pas fini avec les implications, surtout psychologiques, de la belle analyse du brillant professeur. Un dernier mot, qui est tout sauf un coup pied de l’âne. Toute proposition réellement heuristique (qui fait avancer la science) doit donner lieu à discussion : c’est même à cela qu’on la reconnaît. Autant négligence et désinvolture me semblent parfaitement épinglées sur leur bouchon, autant je ne vois pas l’insolence faire bon ménage avec le « peu m’importe ». Petit déjà, je fus étiqueté comme un insolent. Or, l’insolence m’a coûté, une vie durant, bien plus que ce que mes comptes faisaient apparaître comme crédit.
Jean-François Louette Chiens de plume pp 221-223
Cher ami,
Je crois savoir que l’insolence (nonchalance ?) est une qualité de votre caractère qui ne m’est pas inconnue, mais que toutefois j’admire !
En turc, nonchalance se dit « gayretsizlik ». Le suffixe « siz » exprime l’absence de gayret, c’est à dire de « chaleur » ou encore de « force d’âme »… L’insolence, pour moi, c’est une sorte de colère… Une colère froide. La colère est elle force ou faiblesse d’âme?