Un jeune savant, dans la prime force de l’âge, s’en vint un jour proposer ses talents dans une bourgade qui se fait passer pour une terre de science – comme si la science, à l’instar de la poésie ou de la prose, n’était pas collée à la semelle du créateur. Élevé dans l’orbe d’un prix Nobel, rompu aux mœurs d’une organisation où fonctionnariat et création se tournent le dos, s’excluent mutuellement, ce jeune artisan du savoir eut à cœur de mettre en mouvement son équipe de recherche. Travaillé par les arcanes de la connaissance, il travailla et entendit, sans se méfier, faire travailler ses collaborateurs. C’était sans compter avec certaine personnalité syndicale, de longue date inactive, dont le pedigree aurait pu se résumer ainsi : paresse, stérilité, enrobées d’une écume revendicative dénuée d’autre fondement qu’une rouerie jacassante. L’imposteur ouvriériste affecta de se remettre au travail puis, constatant l’asséchement définitif de sa semence, s’en prit aux intentions pures du généticien des populations bactériennes (ce qu’était le jeune savant). Le recours aux techniques éprouvées des régimes totalitaires était à portée de main, toujours disponible pour broyer – le mot n’est pas trop fort – ceux qui dérangent. Le jeune savant prit des coups et, subséquemment, un coup de vieux : on l’affubla d’un costume de parangon du libéralisme, de suppôt du capital et de ses cadences infernales. Sans conteste, il devait aussi souffrir d’un syndrome psychiatrique. L’innocent réformateur fut écarté, de secourables collègues, un peu moins exigeants, recueillirent son jeune héritage. L’homme mis au pilori se lia d’amitié avec moi, d’autant plus que, avant la curée, nous nous plaisions et qu’il bénéficiait désormais d’une situation comparable à la mienne : une station presque couchée, mais rémunérée, dans une sorte de sarcophage social. Peu après, mon compagnon de chiourme disparut dans un accident de montagne, aussi soudain que cruel. Quelle fut la part de ses forces amenuisées dans sa fin hideuse ? L’université, haut lieu de l’ignorance et de l’hypocrisie, se précipita pour faire son éloge, son apologie. C’était un peu comme si, ayant tiré sur quelqu’un, on déplorait publiquement la barbarie des mœurs du temps. Je proposai à quelques vertueux, ce qu’il en restait, d’adresser un mot d’indignation à ceux qui, ayant couvert la liquidation du jeune idéaliste, faisaient mine aujourd’hui de sortir leurs mouchoirs, prononçaient des paroles pâteuses pour encenser un destin trop tôt brisé (etc., etc.) Mais la vertu ne s’accompagne pas toujours de la volonté, et la suite dans les idées est une denrée en voie de disparition. Mon projet de protestation ne fut pas adopté.
Sans illusions, je crois à la justice immanente. Michel – avant que mes paupières n’imitent les tiennes, je garderai les yeux grands ouverts chaque fois qu’apparaîtront les pitres en toge ou que retentira leur jactance indigne.
Merci pour ce texte brillant, cinglant, et émouvant. Hélas, une fois encore la médiocrité, la jalousie, l’hypocrisie, la haine ont détruit un être humain. Psychologiquement, puis physiquement. De tels drames ne sont malheureusement pas exceptionnels, même si tous ne conduisent pas à des conséquences aussi dramatiques et irréversibles. Nous n’oublierons pas Michel, victime de la stupidité humaine.