Lettres à une dame en mal de distractions

Vous vivez, semble-t-il, de ce négoce plutôt actuel qui consiste à donner aux administrations défaillantes, comme aux entreprise cauteleuses, la recette des bâtons pour battre leurs employés, prétendument à leur propre bénéfice. Et vous venez de m’élever à une dignité inespérée puisque vous adorez me lire et brûlez de connaître mon esprit. Vous avez fait chavirer ma sage placidité en me confessant que vous voudriez vous mettre à nu devant moi ; et m’avez rasséréné en précisant que c’était une image. Marque insigne d’intérêt, vous avez parlé de moi à votre analyste – ou est-ce à votre thérapeute?

Au-delà de ma sensibilité ancienne à votre visage et, plus récente quoique réservée, à votre esprit, j’ai deux convictions jusqu’ici inentamées : que personne, essentiellement, n’a jamais pu changer ou être changé, quoi qu’en disent les impostures rentables du management et de la psychologie ; que je n’ai jamais décidé pour l’autre, a fortiori quand je l’aimais, et ce, à un prix toujours exorbitant. Foin du téléphone et de la télématique : je ne parlerai plus qu’en présence de votre regard. J’ai pour vous une certaine tendresse ; quant au reste… Bien à vous.

Le monde n’est pas, ne sera jamais une entreprise (une firme), pas plus que l’individu n’est une quantité pondérable. Pareillement, la piteuse délectation de Narcisse ne peut suffire à contrefaire l’intelligence ; et la manipulation instinctive, même fondée sur de pauvres théories douteuses, et justifiée par elles, n’est pas autre chose qu’une morale de pacotille, un cynisme de fait. A l’exception des premiers instants (ce qu’on appelle sans doute un appât), votre comportement a été tout du long grotesque. J’ai commis une grosse faute de goût en vous offrant ce livre qui, certes, n’a pas besoin de lecteurs de votre qualité. Bon vent! Sincèrement.

« Il est embarrassant d’expliquer des réflexions : c’est comme si l’on se rétractait. »
Elias Canetti Le cœur secret de l’horloge 1989

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