Un jeu de société

Dans les demeures cossues, au bord de la rivière, toutes les soirées ne se ressemblent pas… Ce soir-là, chaque convive a reçu, au préalable, une photographie à partir de laquelle il lui appartiendra de raconter une histoire, sans doute pour apprendre à se protéger contre la fascination silencieuse (ou bruyante) de l’image qui  caractérise nos sociétés matraquées par des journalistes incultes. Ci-après est proposé, brut de décoffrage, l’exercice imposé dont je suis, ipso facto, et comme dirait un de nos hardis politiciens, responsable mais pas coupable.

Ce devait être une histoire, ce ne sera rien qu’un roman (rien qu’une histoire fictive, Littré le dit qui ne se trompe jamais ajoute Céline.) Mais histoire, en grec, signifie enquête (cf. Hérodote), alors ce sera aussi, peut-être, un bout d’enquête sur les mœurs de ce temps.

Les hauts talons effilés : deux phallus amaigris par les mauvais traitements, réduits à l’état d’aiguilles, du genre dont on se sert pour épingler un papillon. « Viens tourner dans ma lumière et m’honorer de tes battements d’ailes. Vois-tu où tu finiras : tu ne sens pas le sapin mais le bouchon, le bouchon sur lequel on juche les papillons épinglés. »

L’espace entre les talons (aiguilles) et les semelles : il délimite la forme d’un cœur (partie haute), un peu aplati par ce qui précède (on le serait à moins) ; la partie basse ressemble du coup (comprenne qui pourra) aux extrémités d’une pince, une pince à billets.

Revenons aux talons effilés, phallus amaigris, tête contre tête. Les tribades, les lesbiennes, on les appelait jadis des belettes car, sur les armoiries, les belettes sont elles aussi en opposition mais représentées tête-bêche, bouche contre bouche, si je puis dire et écrire.

L’extrémité des talons : deux glands infimes, presque confondus, qui se rejoignent donc, pour se confondre et être confondus (au sens où on confond un criminel). Dans un reflet (quartier droit de l’arrière de la tige de la chaussure de droite) se tient un homme maigre et voûté, au crane chauve comme celui d’un fœtus, aux orbites démesurément agrandies.

Bruno Schulz (1892-1942), écrivain, dessinateur et graphiste juif polonais (sa ville natale, où il mourut, est aujourd’hui en Ukraine) avait le fantasme d’être soumis, dominé, avili. Son œuvre graphique en est hantée (voir le dessin ci-dessous). Tous les fantasmes sont dans la nature, on le sait depuis la « révolution scientifique » déclenchée par le Mage de Vienne. Cependant, vous l’imaginez, la rétribution n’est pas la satisfaction d’un désir (le désir, cet instrument de consolation majeure pour les manipulateurs – je veux dire les psychanalystes – et les pauvres êtres tombés sous leur coupe, les manipulés), non, la rétribution c’est le plaisir (jouir comme on peut).

Schulz fut abattu, de deux balles dans la tête, par un officier de la Gestapo. Ce dernier voulait se venger d’un autre officier de la même police qui « protégeait » Schulz, eu égard à son talent, et lui faisait exécuter des peintures murales à son domicile. A ceux qui diront que la psyché, l’âme de Schulz a collaboré avec ses tortionnaires, je répondrai que mon plus grand plaisir (ma jouissance comme je peux, un mélange de violence verbale et de « morale ») serait de leur mettre ma main dans la figure.

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