Prier en vain

Athée, c’est-à-dire croyant (à l’absence de dieu), ou agnostique, c’est-à-dire qui se pique de raisonner, je doute qu’aucun humain informé de sa fin prochaine puisse s’abstenir d’adresser, à grand fracas ou sans mot dire, une invocation déchirante à quelqu’un ou quelque chose. On a bien vu des avocats péremptoires de la franchise la plus marmoréenne, en cas de condamnation par la médecine, s’en remettre, quand est venu leur tour, à des guérisseurs ou des mages pour s’assurer une impossible survie. Mais sans parler du terme plutôt terrifiant, qui n’a souhaité que telle chose lui advienne jusqu’à formuler dans sa cervelle une demande qui ressemble à s’y méprendre à la prière. A deux siècles de distance, deux personnes on ne peut plus dissemblables (quoique…) ont dit quelque chose sur la prière que je ne saurais, sans contorsions, rattacher logiquement à ce que je viens, péniblement, d’établir. Mais le lecteur voudra bien m’apporter sa lumière. Sainte Thérèse d’Avila : « Il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas. » Conçoit-on contre-pied plus radical au sens commun ? – sauf à postuler que quiconque n’a pas connu l’échec sera dépourvu de la moindre substance… ce que je suis enclin à penser. Prince Charles de Ligne : « Que chacun examine ce qu’il a souhaité toute sa vie. S’il est heureux, c’est que ses vœux n’ont point été exaucés. » Si être heureux c’est n’avoir pas connu certaine qualité de larmes, alors la sainte et la haute figure de l’aristocratie ont entrevu le même paradoxe, note pour note, mot à mot. Et Ligne, pour qui la noblesse se définit comme « l’obligation de ne rien faire d’ignoble », n’a pu recopier Thérèse sans nous l’avouer. Un marchand de lessive a fait d’un hapax (un mot qu’on ne rencontre qu’une fois dans toute la littérature d’une langue) un barbarisme aussitôt adopté par la triste clientèle des psychologues : positiver. Le subtil bon sens dit mieux sans se gargariser : voir en toute chose le bon côté. Mais, pardonne-moi lecteur, il ne s’agit pas de ça, ni chez Ligne ni chez Thérèse. Bien plutôt de ceci : la véritable prière sait qu’elle n’attend aucune rétribution. En cela réside sa pathétique dignité.

2 réflexions sur “Prier en vain”

  1. Prier en vain deviendrait alors un oxymore… Et si la réelle prière était ce déversement en un inconnu? Cette confiance aveugle en quelqu’un ou quelque chose tout en sachant (grâce à ce que l’on appelle raison) au plus profond de soi qu’il n’y aura pas de « signe », n’est-ce pas cela « croire »?

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