Soixante mille

Il y a un certain temps que l’idée me taraude de consacrer un petit billet (de derrière les fagots… du bûcher) au chiffre soixante mille. Soixante mille prisonniers occupent nos prisons (plus dix pour cent, aux dernières nouvelles), qui attendent une occasion d’en sortir pour y retourner. Ce qu’on appelle les vertus curatives de la réclusion. Soixante mille mots dorment à l’ombre du Petit Robert, accompagnés de leurs trois cent mille sens. Ce qui devrait inspirer à un fin connaisseur de l’arithmétique la certitude saugrenue que chaque mot est susceptible de couver cinq acceptions (sens). Soixante (seize) mille titres publiés chaque année dans la patrie des Lumières (éteintes). On se demande à l’intention de qui ? Ô le beau peuple, désormais dépourvu des bacchantes gauloises (une barbe de deux jours y supplée…) : beau peuple pris entre la Bastille et la qualité d’illettré. Mais vous est-il apparu que nous sommes, dernier né compris, soixante mille milliers à vivre sur cette terre édénique ? Comprenne qui voudra.

2 réflexions sur “Soixante mille”

  1. La barbe de deux jours est le produit d’une culture bien plus savante que la taille de bacchantes gauloises. Il manquait à nos ancêtres, ceux que l’histoire nous attribuait à l’école primaire, ce raffinement de civilisation, ou cette perversion de la pensée qui consiste à détourner l’usage du rasoir pour se donner l’air mal rasé. J’ai commencé à dix-huit ans. Si je deviens centenaire, tu n’imagines pas la subtilité et la délicatesse du soin qu’aura reçu ma barbe pendant les soixante mille douzaines d’heures où j’aurai maintenu son âge à deux jours, même les jours impairs.

  2. Les soixantaines fascinaient déjà les Sumériens qui nous ont légué, outre leurs ziggourats préfiguratrices d’autres tours phalliques et arrogantes, toute une épicerie en base sexagésimale (y a-t-il vocable scientifique plus coquin que celui-là ?): six fois soixante jours de l’année égyptienne, nos soixante minutes de soixante secondes, les trois-cent-soixante degrés des panoramas touristiques et peut-être même la retraite à soixante ans et Les Cent Vingt Journées de Sodome… jusqu’à la vieille salutation yiddish : Bis hundert und zwantsik ! Puissiez-vous vivre jusqu’à cent-vingt ans !
    Je vous le souhaite, cher BF, bien que peu raisonnable du point de vue des comptes de la Sécurité Sociale.

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