On me presse, adjure de commettre (encore) quelque billet acide sur l’état de la culture. Comme si je n’avais pas pris ma part, et au-delà, d’une tâche infinie comme sans espoir. Loin de me convaincre moi-même, je ne peux cependant décevoir quiconque trouve un caractère mélodieux à mes croassements. Ce matin, très tôt, réveillé sans doute par la pensée d’une prisonnière (au sens propre) que j’aurais voulue tendrement endormie entre mes bras, j’ai entendu parler une chanteuse à la voix éraillée (passée comme il se doit par trois continents et vendant un million de disques), absolue crétine folle d’elle même, qui entretenait l’univers de ses énergies et de ses émotions. Cela avait autrement de gueule que le conatus de Spinoza, concept abscons péniblement élaboré. L’impeccable carpette qui tenait lieu de faire valoir à la chanteuse ne se tenait plus d’intérêt face à son dégueulis, qui était à vomir.
Le journaliste, autant dire, en l’occurrence, une pute, recueillait scrupuleusement ses propos, autant dire des fragments inconsistants d’étrons, parmi lesquels surnageait cette nouvelle que la dame est humaniste, se bat pour les énergies renouvelables et mange « bio ». Je dois à la vérité de dire que les énergies et les émotions m’ont rappelé celle qui a figuré le plus haut moment de perfection de ma vie passée, et dont les énergies et les émotions furent comme des clous qui me crucifièrent quelques bonnes années. Je vous passe l’agonie et la descente de croix puisque le sujet, à la demande générale, est l’avenir de la culture. À y bien songer, le petit juif souffreteux d’Amsterdam fait pâle figure comparé à la grande santé de la chanteuse, avec ses énergies, ses émotions, son combat pour la planète. Spinoza mis K.O par une chanteuse, au surplus une conne sans pareille ! J’emprunte ici à Céline qui voyait fort justement Don Juan mis K.O par une mouche (qui tire ses cent coups à la minute). L’apocalypse ne sera pas joyeuse.