Alors que la culture personnelle, comme pratique instinctive et cumulative, comme pain quotidien, n’a jamais autant semblé menacée de disparition, on n’entend, de toutes parts, que références à une supposée double culture que détiendraient les citoyens venus (eux ou leurs pères) d’ailleurs. Il y a là un abus de langage. La culture consiste dans la maîtrise, relative certes mais avancée, de la langue, de l’écriture et de la lecture, de l’histoire… Ne devrait-on pas, plutôt, parler de double tradition : us, coutumes (provisoirement, je mets la religion dans le lot), lieux d’origine où l’on va retrouver ses « racines » (ce nouveau fétiche). Double tradition, donc. Et tant pis si, à l’occasion, on peut trouver, parmi lesdits us et coutumes, des pratiques archaïques, parfois brutalement acclimatées dans nos sociétés, telles que : l’exaltation incessante du bled, le prix du sang, la vendetta, les interdits alimentaires, la suprématie indiscutée du mâle, la tyrannie de la famille.
Rien de ce qui précède n’exclut l’attachement, l’affection – et le respect (ce mot dévoyé par l’argot des cités qui signifie désormais, prononcé d’une certaine façon gutturale : « soumets-toi à ma loi ». Loi de la jungle ? Pire – celle des sociétés qui se délitent, où chacun est en guerre contre chacun.
L’identité culturelle, livre du sociologue libanais Selim Abou, est très éclairant sur ce sujet. Personnellement, quand on dit « double culture », j’entends « schizophrénie culturelle »… C’est une maladie attestée (par moi-même) chez certains immigrés, ou enfants d’immigrés, notamment de la seconde génération.