Mammon

Au commencement était la nécessité de survivre, sans phrases ni fard, ce que le Prince des philosophes appelle persévérer dans son être. Alors, précaire voulait dire vivant. Quand les humains ont fini de convoquer les dieux et les animaux sur les parois des cavernes, puis quand l’agriculture les a inventés socialement (les humains) au néolithique, soi-disant plus déterminant, selon le très surestimé Lévi-Strauss, que l’apparition de l’écriture, le surplus accumulé a donné toute latitude à la guerre et aux (cités -) états pour stimuler les échanges entre communautés humaines. En présence des greniers qui s’emplissaient, il a bien fallu trouver un symbole abstrait représentatif de n’importe quelle valeur susceptible de se présenter sur un marché ou de faire l’objet d’une tractation entre particuliers. Le troc pataud fut congédié, l’or, l’ivoire, les épices ouvrirent une voie brillante et odorante à la monnaie (jusqu’à la scripturale).

L’orchestre pouvait ouvrir le bal des fous et des méchants. A-t-on bien saisi la gueule que peut avoir un monde qui tient tout entier dans la salve de chiffres et de proportions qui s’offre à nous ci-après : – il faut, chaque jour, soixante dix milliards d’unités monétaires (euro, dollar, franc suisse… peu nous chaut) pour couvrir le règlement des exportations dans le monde ; tous les jours, les transactions monétaires sur les marchés se montent à cinq mille milliards (que crois-t-on que font ces quantités, qu’elles prennent l’air ou se donnent un peu d’exercice ? plus vraisemblablement, elles cherchent à prendre un peu de poids ou à n’en point trop perdre – l’activité de ces gentils billets et autres titres représentatifs de créances relève plus certainement du casino). La valeur annuelle estimée du produit intérieur brut mondial est de soixante sept mille milliards, les promeneurs du tapis vert spéculatif (d’honnêtes possédants, des fonds de pension vertueux, les sacro-saintes entreprises créatrices d’emploi) font circuler en une année, par leurs mandants, un million de milliards de la même farine, soit quinze fois la valeur produite par la somme des nations en un an. Pour s’être fait attendre un demi siècle (depuis le dernier grand embrasement de l’humanité), le résultat n’en est pas moins éclatant qui met son point cruel sur le i d’indigence : pour ne prendre que cet exemple, dans le valeureux pays de France, les disparités de patrimoine s’affichent ainsi : dix pour cent des ménages détiennent soixante pour cent des richesses, les cinquante pour cent les plus pauvres se délectent de cinq pour cent du patrimoine ; les quarante pour cent restant (parmi eux mes préférés, fonctionnaires et révolutionnaires en chambre) font tenir l’ensemble (pour combien de temps ?) attablés devant leur trente cinq pour cent du gâteau.

Est-ce Marx qui a inventé la notion d’équivalent général rapportée à la monnaie ? Je m’en fous un peu ! Je laisse ce genre de question aux pisse-froid et pisse-vinaigre de l’université (je tiens à la minuscule) qui ne sont jamais sortis de la chambre parentale où ils ont préparé de nobles résultats aux concours (mandarinaux), traînant, avec leur situation à vie, pour toujours après eux une hygiène douteuse et un goût non moins douteux pour la station assise. Issus de cette merveilleuse origine fessière, cent petits Lénine poussent ces temps-ci comme champignons après la pluie de la gabegie politicienne. Ils veulent rajeunir le projet d’un monde meilleur (sans un mort ?), non sans montrer une insupportable indulgence pour au moins un apologiste de crimes contre l’humanité (pas condamnable, jamais condamné, peut-être parce que normalien fils de normaliens, plus certainement parce que dernier porte-drapeau du communisme pur et immaculé), les plus fins annoncent leur volonté raisonnable d’échouer mieux (combien de morts ?) Le Français progressiste applaudit tout cela, lui qui emplit à longueur de journée sa bouche des mots liberté, égalité, fraternité, tandis qu’il est parfaitement servile, envieux et nombriliste.

Pendant que de si subtils ingénieurs se préoccupent de l’avenir de l’humanité, les pauvres, eux, regardent vers la fin du jour et de sa suite ininterrompue de mauvaises nouvelles. Les pires sévices, des avanies implacables procèdent de ce qu’on a placardé derrière le frontal des pauvres la face perpétuellement luminescente de Mammon, ce grill froid où tout se mesure à l’aune de ce qu’il faut d’équivalent général pour en faire l’acquisition : une cigarette, du café, une bouteille de bière, une couleur pour les cheveux toujours imparfaits des dames, un trajet en auto – le besoin comme le désir.

 

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