Longues courses lentes sur le coteau radieux

La cité plate et veule, arrogante et creuse, est enserrée entre la rivière et les banlieues ouest et sud où sont censés s’agglomérer les cinquante pour cent de la population qui détiennent cinq pour cent du patrimoine des ménages. Au nord-est, la classe moyenne accomplit sa destinée en acquérant dans la vallée heureuse un terrain à bâtir ou une grange à retaper. Mais la signature sociale, le levier véritable de l’hypocrite cité bavarde, on les trouve sur le coteau radieux, à un jet de pierre du centre ancien. Par-delà la rivière, sur le premier versant du massif de la Chartreuse, il y a les propriétés immémoriales, ceintes de hauts murs, aux pelouses ponctuées de cèdres bicentenaires. Qu’on ne se raconte plus d’histoires : les vieilles familles ont vendu de longue date ; ce sont aujourd’hui les oligarques qui y coulent des jours heureux bien abrités. Il se trouve que je propulse depuis des années dans ces parages mes genoux malades ainsi que mes hanches toujours fluides puisque, par bonheur, les voies montantes qui irriguent ce mirifique ghetto sont encore publiques. Ma longue pratique me conduit à deux observations qui passionneront les amateurs d’anthropologie à forte teneur sociologique : invariablement, les boites aux lettres de ces propriétés proclament fièrement quelque chose comme « Non merci – pas de pub ! » ; les oligarques qui vivent grassement d’un système vendant à crédit aux pauvres des marchandises dégradées, ces gens de bien, n’entendent pas manger de ce pain-là. D’autre part, quand on croise un regard, au long de ces voies enchantées, quand il n’est pas dissimulé par le pare-brise d’une grosse berline de préférence étrangère, il est vide et comme voilé d’indifférence. Il existe de notables exceptions et j’entretiens au fil du temps des relations presque amicales avec tel ou telle avec qui nous avons commencé par nous saluer pour ensuite engager la conversation. Mais la disproportion est telle entre les deux catégories d’habitants de ce somptueux mouroir qu’il y a lieu d’être très pessimiste quant à l’avenir de tout commerce humain dans ces contrées de rêve.

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *