Références ? Préférences ! Et révérence…

Il y a longtemps, je trouvai quelque part cette phrase qui, parce qu’elle reposait sur un jeu de mot en allemand et que sa signification me parut éclatante, ne me quitta plus : « Ein Weltbild ist immer zugleich ein Wertbild », ce qui pourrait se traduire mot à mot : un tableau du monde est toujours en même temps un tableau de valeurs, et plus littérairement : à une vision du monde correspond nécessairement une certaine  échelle de valeurs (ô burqa et autres crimes d ‘ « honneur », lois du talion…). Le rationaliste ne voit que la « nature », la génération et la corruption, le croyant que la main de « dieu », le salut, la grâce, etc. Je cherchai longtemps l’auteur, n’ayant pas noté l’endroit de la trouvaille de cette pépite (pour moi…)  Et puis un jour, après des tentatives sans nombre et grâce à l’inquiétant géant débonnaire Grand Frère Google, je sus qu’il s’agissait de Robert Reininger (1869-1955), philosophe autrichien s’étant intéressé à la théorie de la connaissance et à la philosophie des valeurs ou axiologie.

Comme  j’utilisais souvent cette citation dans des rêveries, l’idée me vint de chercher une traduction qui comporte un équivalent (forcément approximatif) du jeu allemand sur les mots WELTbild, WERTbild. Je la trouvai, ce fut : « Tout système de références est aussi système de préférences ». Évidemment, la qualité littéraire manque à l’appel, mais m’intéressaient avant tout le sens ET le jeu de mots. J’allais être récompensé de l’usage du mot préférence en tombant sur un passage de  l’autobiographie intellectuelle de Karl Popper  (1902-1994) « Unended Quest » consacré à ses recherches « métaphysiques ». On sait peut-être que, pour Popper, le critère de la scientificité est la « réfutabilité ». Pour simplifier, aucune théorie n’est complète en soi, n’est à l’abri définitivement des conjectures salutaires de  la critique. La meilleure théorie est celle qui résiste le mieux aux aiguillons de la critique ; c’est avant tout celle qui, malgré toutes les conjectures potentiellement contraires, produit les meilleurs RÉSULTATS. Popper écrit : « On ne peut jamais justifier une théorie.  Mais on peut parfois « justifier » (dans un sens différent) notre PRÉFÉRENCE (je souligne) pour une théorie, considérant l’état du débat critique ; car une théorie peut résister à la critique mieux que ses concurrentes. » Au fond, de ce point de vue, la science, la morale, la cosmologie… ont ceci de commun : nos références sont aussi nos préférences.

Ce texte est resté longtemps dans l’état dont témoigne la ligne précédente. Et à son titre (provisoire) manquait le dernier segment. Un matin, prodige de l’assonance, hasard du commerce avec d’autres esprits, la chute s’est imposée : certes nos références sont aussi et toujours nourries de nos préférences ; mais ces dernières ne procèdent certainement pas du caprice – non, bien plutôt de la révérence. Qui, du mot ou de son sens, a déclenché l’autre. Disons-le sans ambages : on préfère parce qu’on est attaché. Le Mage de Vienne a prétendu – en toute ingénuité ? – nous ramener à notre bouche, au bout de notre intestin, aux organes de la reproduction. Admettons. La littérature, cependant, me semble plus sûre que les sciences non réfutables. Alors, à l’attachement, à la fixation (!), on peut préférer cette clé : le besoin imparfaitement explicable de s’incliner fonde la préférence. S’incliner devant une divinité, se pencher sur celle ou celui qu’on aime, remettre son destin à un grand personnage monté sur le pavois (héros, roi, capitaine…). Tout simplement, révérer.

Drieu La Rochelle l’écrivait joliment dans un hommage à François Mauriac : « Dis-moi comment tu aimes et je te dirai quel est ton dieu. » Ou bien : « Dis-moi quel est ton dieu, je te dirai comment tu aimes. » Et : « Te connaissant couché et à genoux, je pourrai certes jeter une vue singulièrement avertie sur la classe et la société au milieu de laquelle tu vis. » Aimer, s’agenouiller, toutes postures qui sont d’inclination. On se réfère à une entité ou à quelqu’un parce qu’on préfère. Et on préfère ce qu’on révère.

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